Lettre pastorale / Eglise Orthodoxe Française

Publié le par Ensemble paroissial Pibrac et Brax

Lettre pastorale /  Eglise Orthodoxe Française

Chers frères et sœurs en Christ, Chers amis fidèles, Un fort désir de vous rejoindre m’anime depuis quelques jours pour partager quelques réflexions en ces temps tourmentés où l’humanité entière est plongée dans une épreuve collective sans précédent. Dans le cadre de ma fonction épiscopale, il m’a été donné ces dernières années de méditer certains textes bibliques dont la brûlante actualité m’a profondément touché. Je ne prétends pas être un exégète, simplement un témoin de la force d’espérance qu’ils recèlent...

L’auteur contemporain suisse, Michel Maxime Egger, rapporte, dans son beau livre « La Terre comme soi-même », l’intuition du philosophe catholique français Jean Guitton qui énonçait, il y a près de trente ans : « l’humanité approche d’un point vertigineux où elle aura à faire un choix radical entre la ‘métastrophe’ et la ‘catastrophe’, la mutation des consciences et le suicide cosmique ». 1

Aujourd’hui, nous n’approchons plus de ce point, nous y sommes... « Les Temps » sont là, douloureux et bénis à la fois où de grandes prises de conscience doivent émerger. Une ère nouvelle est en train de s’ouvrir ; un profond changement de comportements est espéré ; une révolution orchestrée par le grand Maître d’œuvre qu’est la Divine Trinité est en marche avec le retournement radical et les dé-sécurisations qu’elle implique. Nous sommes entrés dans un grand passage – une « Pâque » précise la langue biblique - qui concerne l’humanité entière ; la « Pâque des Nations » selon la belle expression de l’auteure Annick de Souzenelle. Et il n’est sans doute pas anodin que la crise que nous vivons se révèle en Occident au cœur du grand carême qui nous prépare à célébrer la fête de Pâques.

L’épreuve est collective, et elle est très rude. Nous sommes tous témoins de situations douloureuses dans différents pays du monde. Dans un climat de confusion, des mouvements de peur panique, de colère ou de désespoir émergent à l’écoute des rapports alarmants des instances médicales orientant les décisions politiques. Notre système socio-économique mondial très complexe se révèle finalement très fragile en situation de crise, et nous assistons, impuissants, aux prémices d’un possible effondrement en cascade. Comment ne pas être touchés en plein cœur devant le constat émouvant de vies humaines disparues, de familles brisées par la maladie ou la précarité professionnelle qui en résulte... Mais aussi par l’héroïsme dont font preuve certains, je pense particulièrement à toutes les personnes du corps médical engagées quotidiennement pour soutenir notre humanité blessée...

L’épreuve est très rude, mais comme toute épreuve, elle peut devenir le lieu d’émergence de questions essentielles, le lieu de l’Appel de Dieu qui nous remet en mouvement : « Où es-tu, Adam ? » et « Que fais-tu de la Vie que je t’ai donnée ? » A travers notre réponse : « Me (nous) voici Seigneur ! », elle devient alors un évènement au service de l’élargissement de la Conscience, un lieu de « révélation de la Présence de Jésus-Christ » en train de s’accomplir au cœur du monde selon le texte de l’Apocalypse de saint Jean – Apocalypsis comme dévoilement -.

En rencontrant aujourd’hui le coronavirus – Covid 19, l’humanité fait face à un adversaire bien individualisé (effigie du Satan ontologique) dont la fonction première, si elle est bien comprise, est de réveiller, de stimuler, de vivifier les capacités de défenses de « troupes » bien souvent endormies. « Nous sommes en guerre » n’a pas cessé de marteler le chef de l’état dans sa dernière allocution. Entendons-le à un premier niveau ; il nous faut alors réagir en conséquence en prenant au sérieux les prescriptions sanitaires pour protéger un maximum de sujets à risques : il en va de notre responsabilité chrétienne et citoyenne.

Mais il est une autre guerre dont nous ne parlons pas, elle aussi invisible, et qu’il nous faudrait grandement évoquer. C’est la « guerre sainte » dont parlent les Ecritures sous la forme de l’exigeant combat intérieur de l’être humain avec lui-même et toutes ses tendances égoïstes, violentes, voraces qu’il lui faut désormais transformer et retourner en lumière par une profonde volonté de guérir et de convertir son cœur dans la présence du Christ, Médecin des âmes et des corps et de l’Esprit-Saint... Chaos ou harmonie extérieurs sont les reflets douloureux ou paisibles de notre monde intérieur. A terme, ce profond travail de conversion et d’intégration des ombres permettra à l’humanité encore adolescente d’entrer dans une nouvelle conscience, une plus grande maturité. Cette épreuve est initiatique...

Précisons à cet effet que le coronavirus est aussi appelé virus de la couronne. Il vient cibler en nous ce que nous avons oublié d’honorer depuis des générations et qui nous rend aujourd’hui malades collectivement : totalement projetés dans l’extériorité, nous avons perdu la trace du « couronnement » intérieur pour lequel nous avons été créés, nous avons perdu le lien avec la Vie-Lumière essentielle, avec la Source Divine que Jésus appelait Son Père. Ce virus, dans sa fonction ontologique d’adversaire, nous invite finalement à retrouver le chemin de l’intériorité, à prendre soin de notre vocation de fils et de fille de dignité royale, couronnés de Lumière... Comment ?

En venant nous percuter de manière forte pour que nos carapaces de Terriens emmurés dans tant de peurs, d’illusions, d’inconscience s’entrouvrent enfin... Pour que nous puissions collectivement être conduits vers l’agenouillement intérieur, signe de l’humilité retrouvée...

En nous invitant avec vigueur à « rester chez soi » pour mieux « rentrer en soi » et écouter la Voix qui nous appelle des profondeurs de la Vie : « Reviens vers toi, retourne-toi, enfant de Lumière et écoute... »

Se poser, se déposer... seul, en famille ou en communauté et retrouver le sens de notre vie, le chemin vers notre cœur profond. Expérimenter la présence palpable, vivante de l’Amour Trinitaire qui nous appelle à La rencontrer.

En ce temps de carême choisi pour certains et de confinement subi pour d’autres, nous sommes finalement tous conduits au désert de soi... La grâce du désert, c’est l’expérience du manque qui nous rend capable d’une rencontre inouïe avec la Source mystérieuse de l’Amour : « C’est pourquoi je te conduirai au désert et je parlerai à ton cœur » (Osée 2, 16).

De manière ultime, la « Pâque des Nations » qui se révèle plus clairement désormais est bien ce passage qui nous fait quitter un vieux monde devenu terre d’esclavage pour rejoindre un monde nouveau plus spirituel, une nouvelle terre habitée de ciel dont nous ne connaissons pas encore les contours. Le texte biblique décrit ce mouvement comme un enfantement qui n’est pas sans douleurs. Les douleurs de l’enfantement sont bien là, l’actualité nous le crie avec tous les inconforts et les désécurisations que cela implique. Il nous faudrait longuement méditer les grands exercices que le Christ énonce dans le chapitre 24 de l’évangile de Matthieu, pour accompagner ce temps : « Prenez garde qu’on ne vous abuse ; voyez, ne vous alarmez pas, n’ayez pas peur » mais aussi « veillez, priez, et tenez bon ».

Finalement, c’est peut-être ce que nous avons de mieux à faire pendant ce temps de retrait au désert de soi en l’absence forcée des sacrements conférés par l’Eglise. Veiller, prier, méditer, intercéder, demander pardon pour tous, jeûner avec mesure, sanctifier l’espace de la maison mais aussi le temps qui nous est donné, célébrer, innover... Participer du mieux que nous le pouvons à l’émergence de la conscience d’une « sage-femme » collective pour tempérer les douleurs de l’enfantement dans un lien renouvelé avec la Vierge Marie, la « Theotokos », la Mère de Dieu...

Le staretz Silouane, qui vécut les cinquante dernières années de sa vie au Mont Athos disait : « Le monde tient par la prière ; si la prière cessait, le monde périrait. » C’est à la prière du cœur qu’il pensait : prière des prières et cœur de la prière, manifestation originelle du Christianisme, son patrimoine inaltéré... Supposons un instant que, perdu dans le désert, un homme se sache objectivement et irrémédiablement condamné, privé de toute confession, de toute parcelle eucharistique. Que peut faire un tel homme en une telle extrémité ?... Rien d’autre qu’invoquer le Nom, avec une confiance aimante, absolue, inconditionnelle, en Lui. Or Pascal l’a écrit : « On mourra seul » ; et, fût-il entouré de l’affection de tous les siens, tout mourant meurt dans un désert. C’est dire l’actualité de cette prière ; car non seulement nous mourons tous un peu chaque jour, mais c’est dans le plus redoutable des déserts spirituels. Bien plus, maintes traditions enseignent que celui qui meurt s’achemine vers ce à quoi il s’est identifié dans ses derniers moments. L’ultime image, l’ultime parole conditionnent toute la suite. Celui qui meurt en répétant le Nom divin a donc toutes les chances de rejoindre le Divin. C’est dire l’importance de l’enchaînement, durant cette vie-ci, de la prière jaculatoire, dont chaque formule est une flèche lancée dans le cœur de Dieu : ‘Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur !’ Parfait instrument de réalisation, la prière du cœur est aussi l’activité la plus discrète qui soit, la plus clandestine peut-on dire... C’est là un autre aspect de sa modernité. Au-delà de tout culte extérieur, Eucharistie invisible et insaisissable, la prière du cœur peut à la limite tenir lieu d’Eglise : elle subsisterait intacte, non profanée, si le monde était réduit à l’état de ruines calcinée ou d’un Goulag planétaire... » 2

L’Intelligence Créatrice à l’œuvre a permis, à travers ce tout petit virus, d’obtenir ce que des milliers de discours et de rapports scientifiques produits ces dernières décennies n’avaient pas réussi à faire : l’arrêt du système. Aujourd’hui en Chine, il se raconte que certains peuvent à nouveau contempler le bleu du ciel qu’ils n’arrivaient plus à discerner derrière les rideaux sombres des pollutions industrielles ; il se dit aussi que l’eau des canaux de la ville de Venise est en train de retrouver ses belles couleurs... 

« Rien ne peut nous nuire, nous devons simplement être patients pendant un certain temps et Dieu verra notre patience, enlèvera chaque obstacle, chaque tentation, et nous verrons à nouveau ensemble l’aube des jours joyeux, et nous célèbrerons l’espoir et l’Amour que nous avons en Jésus-Christ Ressuscité... » 3!

Confions au Seigneur nos frères et sœurs éprouvés par cette épidémie sans oublier le peuple syrien - à Idleb ou ailleurs – entraîné sur les routes de l’exil par la folie de la guerre et tant d’autres familles humaines de par le monde. Demandons-Lui de nous combler de force, de patience et d’espérance... Chaleureuses bénédictions à chacune et chacun... A Flayosc, en la fête de saint Joseph, le Juste, 19 mars 2020

Evêque Martin

1 « La Terre comme soi-même » de Michel Maxime Egger, éditions Labor et Fides, p.20

2 « Athos, la montagne transfigurée » de Jean Biès aux éditions Les Deux Océans p.242 3 Paroles de consolation du père Zacharias Zacharou, Monastère d’Essex, GB

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