Pourquoi aller au pèlerinage de Pibrac dès le 14 juin ?
Pourquoi aller au pèlerinage de Pibrac dès le 14 juin ? Il existe tant de sanctuaires mariaux ! Tant de propositions nous aguichent en ce mois de juin, à la veille des vacances ! Alors, pourquoi se rendre dans la ville de sainte Germaine ? Après tout, on connaît déjà son histoire, et nos problématiques de citadins du XXIème siècle n’ont (apparemment) rien à voir avec la vie d’une bergère de la fin du XVIème ! Oui, quelle bonnes raisons aurions-nous de nous rendre à Pibrac ?
Eh bien ! tout simplement pour rencontrer une sainte extraordinaire. Notre époque, revenue de tout, blasée (nous avons vu tellement de choses ! Et nos ados sont dessalés si précocement !), tellement déçue par les fausses promesses des messianismes terrestres, n’aspire plus qu’à goûter la dernière nouveauté proposée sur les étals, nouveauté dont on sait qu’elle sera déjà périmée demain ! Justement ! Pibrac nous propose de découvrir une sainte qui sort de l’ordinaire ! De quoi séduire les amateurs de singularités que nous sommes devenus !
Mais en quoi cette bergère illettrée, totalement inconnue des annales historiques de son temps, et qui passa de surcroît inaperçue dans son propre village, en quoi cette manchote anonyme peut-elle susciter la curiosité, voire l’intérêt, d’un(e) Toulousain(ne) branché(e) de 2021 ? Où se situe sa singularité ?
En fait sainte Germaine sort de l’ordinaire en ce sens que c’est Dieu qui est directement à l’origine de sa canonisation. Expliquons ce point. Généralement, pour qu’un homme, ou une femme, soit déclaré saint par l’Église, deux conditions sont requises : la première (évidente) est la sainteté de l’impétrant. Seconde condition : que le saint en puissance soit reconnu comme tel par une partie de ses contemporains. En effet, si personne ne vous considère comme un saint de votre vivant, qui portera votre cause à Rome quand vous serez décédé ?
Or, si Germaine remplit la première condition, en revanche elle ne coche pas la seconde case. Non, elle n’a pas été reconnue comme une sainte par ses contemporains ! Comment l’Église est-elle parvenue alors à la canoniser ? Tout simplement parce que Dieu S’est chargé en Personne de mener à bien le processus qui la hisserait sur les autels ! Comment S’y est-Il pris pour cela ?
Germaine meurt, isolée et délaissée de tous, en 1601. Elle est enterrée à l’intérieur de l’église paroissiale de Pibrac. Quarante ans après son décès, on décide de porter en terre une autre personne à la même place. À cette fin, on creuse à l’endroit où notre sainte repose. Et que découvre le fossoyeur ? Le corps intact d’une personne ! Mais à qui appartient-il ?
Les plus anciens habitants de Pibrac, susceptibles d’avoir connu cette inconnue, tentent de se souvenir. Mais oui ! c’était la petite souffreteuse de la ferme située à l’orée de la forêt de Bouconne ! Germaine Cousin ! La souffre-douleur de sa marâtre ! Les langues se délient. Un corps intact ! Pourquoi un tel prodige ? Et si par hasard la petite bergère était une... sainte ?
Je vous fais grâce des autres péripéties qui conduiront à la canonisation de notre sainte, plus de deux siècles après sa mort ! Ce qu’il faut surtout retenir de ce long intervalle de temps qui court entre la mort de Germaine et sa canonisation, c’est que Dieu a pris les choses en main (par la médiation des hommes) ! S’Il n’avait pas conservé son corps intact, il n’y aurait jamais eu de sainte Germaine de Pibrac ! Germaine ne doit pas à ses contemporains d’avoir été portée sur les autels, mais à Dieu Lui-même ! Première singularité de la pastourelle de l’Ouest toulousain.
Autre originalité de Germaine : son délaissement. Peu de saints ont été aussi esseulés qu’elle. Ce qui explique que sitôt enterrée, personne ne se soit soucié d’elle, et qu’il ait fallu un effort de remémoration de la part des anciens du village pour identifier la personne à qui appartenait le corps découvert dans l’église paroissiale.
Persécutée par sa marâtre, Germaine était délaissée dans sa propre famille ! Elle qui couchait sous l’escalier de la ferme, dans une soupente ! Elle que sa marâtre ne souhaitait pas que ses fils fréquentent ! Elle les éloignait d’elle comme d’une bête contagieuse !
Germaine esseulée, qui portait pourtant secours à plus esseulés qu’elle : les vagabonds qui sillonnaient les environs de l’ouest toulousain, souvent des soldats démobilisés, que la fin des guerres de religion en France avait laissés sans emploi. Une sainte inconnue, méconnue : prodige voulu par Dieu pour notre édification, et pour qu’elle devienne une des patronnes de cette pauvreté terrible entre toutes : la pauvreté appelée solitude.
Voilà deux singularités (parmi d’autres !) qui devraient aiguiser notre curiosité ! Dans nos villes hyper-connectées où la solitude gangrène tant d’existences, la pastourelle de Pibrac est susceptible de « parler » à beaucoup de personnes isolées. Dans une société marquée par les inégalités, qui vante tant la performance, et qui cache les « loosers » (les « perdants », en français) comme des malades honteux, l’intercession de sainte Germaine, dont l’existence fut marquée par tant de malheurs (le handicap, la persécution, l’indifférence, le rejet), peut porter secours à ceux qui souffrent des maux qui furent les siens.
Dieu est sage. Soyons bien persuadés que S’Il a décidé, dans Son conseil, de placer notre bergère aux portes de la ville de Toulouse, dont Il savait qu’elle deviendrait la quatrième conurbation de France au XXIème siècle, c’est qu’Il avait prévu que l’intercession de Sa petite sainte ne se cantonnerait pas aux populations rurales, mais qu’elle pourrait porter secours aux citadins « branchés », aux geeks confinés derrière leurs écrans, que nous sommes devenus !
Ultime singularité de notre sainte : cette bergère qui mourut dans l’anonymat le plus complet, il y a plus de 400 ans, dans une campagne située à l’orée d’une forêt inhospitalière, campagne encore marquée par les séquelles des guerres de religion qui venaient de s’achever, cette bergère peut cependant porter remède aujourd’hui aux maux de notre hyper-modernité urbaine !
Jean-Michel Castaing